À
qui appartient le trésor de Cuts ?
CUTS
• Des chercheurs du dimanche ont découvert
-et vendu- un trésor moyenâgeux, estimé à 264 000 €. Le propriétaire
du terrain veut récupérer "son" bien.
C'est une histoire incroyable un scénario fou
à faire pâlir le plus fertile des romanciers. Déterré par des
chercheurs du dimanche, dans un terrain privé en pleine forêt de
Cuts, un jour de juin 1998, le trésor de Cuts est au cœur d'une
bataille judiciaire depuis six ans. Ce magot de 1180 pièces frappées
sous Hugues Capet et Robert le Pieux vers l'an 1000, caché dans deux
cylindres et une pierre de l'époque, est unique de l'avis des
spécialistes. Mais il n'a pas seulement un intérêt archéologique. Il
a aussi une très grande valeur pécuniaire (264 000€) déterminée
après une âpre bataille d'experts qui a fait traîner l'instruction
pendant six ans.
À qui appartient le trésor de Cuts? Aux
découvreurs qui l'ont vendu pour 22 724 € ? Au propriétaire du
terrain qui réclame la restitution de "son" trésor "dilapidé"?
Ou aux trois collectionneurs, dont un marchand parisien spécialisé
en monnaie médiévale, qui l'ont racheté en partie? Aux juges du
tribunal correctionnel de Compiègne, chargés de répondre à la
question, ces trois-là parlent du trésor de Cuts avec des trémolos
dans la voix.
Il y a le libraire, collectionneur passionné, qui raconte, le regard
embué, "la beauté" de ces pièces . " Le jour où je les ai
vues, pour moi, elles étaient très belles". Il y a le retraité,
numismate averti, qui a préféré enterrer, à nouveau, une partie du
trésor dans sa peupleraie, pour le soustraire "aux cambriolages".
Il y a enfin le marchand parisien qui a acheté deux lots de pièces
de 6 860 € chacun, auxquels il a consacré une publication. Devant
les juges, il s'emballe; "Le fait d'avoir trouvé le contenant,
c'était quelque chose d'émouvant. L'étude était passionnante. Il m'a
fallu six mois pour déchiffrer certaines pièces".
À la barre, même les trois découvreurs s*enthousiasment, comme ces
chercheurs d'or que rien ne détourne jamais de leur Eldorado.
Ex-salariés d'une grande entreprise noyonnaise, ils passent leur
temps libre à écumer la région avec leur détecteur de métaux et leur
carte, à la recherche d'objets de la Première Guerre. Des trésors,
ils en ont déjà trouvé.
On avait passé la poêle-à-frire
toute la journée"
Mais ce
jour-là. c'était le pompon. " On avait passé la poêle-à-frire la
journée; on n'avait rien trouvé, raconte le plus mordu. C'est
le dernier coup qu'on a fait en partant. C'était…"
Le président du tribunal ne semble pas aimer les chasses au trésor.
Il le coupe dans son élan. "Le trésor de Cuts", il a "bien
du mal à l'appeler comme cela". Et d'ailleurs, il voudrait bien
savoir pourquoi les trois découvreurs n'ont pas appliqué la loi et
signalé leur trouvaille. Vagues explications des intéressés. Bon
public, la substitut du procureur de la République reconnaît que
cette histoire "constituerait un bon film
d'aventure". Mais elle
réclame 8 à 3 mois de prison avec sursis pour les prévenus. Le
propriétaire, lui, demande 2 000€ pour la violation de sa propriété
privée, la restitution du trésor et 17 421 € en dédommagement des 73
pièces vendues et jamais retrouvées. Son avocate réclame une
troisième estimation du trésor, pestant contre les expertises
judiciaires "bâclées". Le président s'énerve. "Dites, j'ai
aperçu ce qu'ont coûté les deux précédentes expertises. Si vous en
souhaitez une troisième vous avancez les frais. Il faut en sortir…"
L'affaire
est mise en délibéré.
LAETITIA GALDEANO |